Serge Tarassenko, physicien nucléaire – Swanage – 7 mai 2006
Nous vivons certes dans des temps exceptionnels, dont l’un des aspects les plus intrigants réside dans cette quête, cette recherche par des scientifiques, d’un sens ultime au drame humain, somme toute à l’homme et à son histoire.
Je me réfère, entre autre, à l’ouvrage récemment publié en France par les Presses de la Renaissance et intitulé « Science et quête de sens », dans lequel des scientifiques du plus haut niveau, dont quatre prix Nobel, spécialisés dans des domaines très variés, s’expriment à travers des positions diverses. Ils abordent cette évolution de la connaissance scientifique qui va bouleverser notre vision du monde à travers la recherche de son sens.
L’autre aspect provient de l’avènement de la Nouvelle Physique. Cette discipline s’est formée à la suite de découvertes scientifiques effectuées dans les trente premières années du 20e siècle. Elles ont surtout surgi à la suite d’une exploration approfondie de l’univers sub-atomique. Les scientifiques de l’époque ont ainsi été amenés à faire face à une réalité étrange et imprévue qui semblait défier la cohérence jusque là admise d’une description logique, cartésienne, de l’univers. Ils ont réalisé avec beaucoup de difficulté que les concepts « mécanicistes » (terme emprunté au physicien français Bernard d’Espagnat dans l’ouvrage « Science et quête de sens ») issus des travaux de Descartes et Newton, le langage et la façon de penser utilisés pour les formuler, tout cela était totalement inadéquat pour décrire les fruits de leurs découvertes.
Les problèmes conséquents étaient non seulement d’ordre intellectuel, mais ont amené une crise d’ordre existentiel. Il a fallu de longues années pour surmonter cette crise. Toutefois, ils en ont émergé, solidement dotés d’une faculté de vision approfondie de la nature de la Matière et de sa relation directe avec l’esprit humain.
Ces nouveaux concepts ont amené un bouleversement considérable dans notre vision de l’univers et de l’homme. Quittant le concept mécaniciste de Descartes et Newton, selon lequel tout n’est qu’objets (atomes, planètes, etc.) dont la constitution et les mouvements sont régis par des lois rigides de mécanique, entièrement prévisibles, nous aboutissons à quelque chose de fondamentalement différent. Nous arrivons maintenant à développer et utiliser une vision holistique (l’univers et l’homme forment un tout indissociable, non séparable en disciplines individuelles), et écologique. Cette vision est ô combien proche de celles que découvraient les mystiques de toutes époques et traditions.
Plus frappant encore, cette nouvelle vision, tout en utilisant un langage de description qu’elle a elle-même développé, se rapproche étrangement de celle développée dans ce livre extraordinaire, qui ne cesse d’étonner, la Bible. Ce rapprochement dans les visions ne devient apparent que lorsqu’il est possible de remonter à l’hébreu pour l’Ancien Testament, de lire les commentaires des écoles rabbiniques, ainsi que de déchiffrer l’araméen, langue que Jésus a utilisée dans son enseignement. Bien entendu, n’oublions pas l’importance du grec comme langue d’origine pour saisir l’extraordinaire vision paulienne dans ses épîtres.
L’un des exemples les plus saisissants de ce rapprochement réside dans la vision de ce que sont réellement les vérités cachées derrière l’apparence des choses. En somme quel est ce Réel ultime, celui qui englobe toutes les vérités cachées ? Quel est le Sens et l’Aboutissement de toutes choses ?
Ainsi, d’un côté, c’est la Nouvelle Physique qui nous éclaire sur ce que doit être l’ultime Réel, bien sûr invisible, indépendant du temps et de l’espace. Ce Réel, c’est un ordre extraordinaire, dépassant toute imagination et explication. Il est « implicite », c’est-à-dire faisant partie de toutes choses, y compris la vie et les être vivants, sans qu’il soit directement manifesté en tant que tel. Cet ordre « soutient » et rend possible le Visible, c’est-à-dire tout ce qui apparaît, tout ce qui est mesurable, tout ce qui est concevable. Cet ordre « contient » tout ce qui a été, qui EST, et qui apparaîtra encore dans notre prison de l’espace-temps. Ce qui apparaît comme « événement » dans le visible de notre vécu, que ce soit au niveau des atomes ou dans l’histoire des hommes, n’est possible que grâce au fait que les « ingrédients », c’est-à-dire tous les éléments qui vont amener et former l’événement, ont « toujours été », parce qu’ils ont fait partie intégrante de l’ultime Réel, c’est-à-dire de cet Ordre, qui ainsi rend l’événement possible dans le contexte des apparences, dans l’espace et le temps.
De l’autre côté maintenant, c’est-à-dire dans une réponse biblique à notre question sur la nature de ce Réel ultime, on trouve entre autres ce texte quelque peu cryptique dans le livre de L’Ecclésiaste (Ecl. 3 :15) « Ce qui est, c’est ce qui a été, et ce qui sera, c’est ce qui a été ». En somme, le « est » et le « sera » ont toujours été contenu dans ce qui « a été ».
Ce qui se déroule dans notre vie, ainsi que ce qui est appelé à se dérouler dans l’avenir n’a de sens profond que dans « quelque chose » que l’on ne voit pas, ne comprend pas. Ce « quelque chose », ayant « été » depuis toujours, contient et soutient tout ce que nous sommes, ce que nos ancêtres ont été, ce que seront nos descendants. Il contient et soutient tous les événements proches ou lointains, tout ce qui a été, est et sera notre vie, notre société, notre civilisation, notre planète, et, en fait, tout l’univers. La Science n’en voit que les manifestations observables, mesurables, concevables. Les religions vont plus loin en essayant de donner un nom à ce « quelque chose », cet Ordre extraordinaire, ce Réel ultime au-delà du visible et de l’apparence.
Dans les deux cas – Science ou Religion – l’homme utilise sa faculté de « nommer », sans réaliser la plupart du temps que ce qu’il « nomme » à l’aide d’un vocabulaire qu’il choisit soigneusement – car ce qu’il nomme se doit d’être la Vérité absolue dans son entendement – n’est que la projection de la façon dont cet entendement fonctionne. Les mots ainsi trouvés comme « Vérité scientifique », « Ordre », « Ultime Réel », « Etre Suprême », traduisent plutôt des « concepts », c’est-à-dire ce qu’il entend et veut faire entendre par ces mots, au demeurant très évolués et riches de sens.
C’est dire que la Science décrit un Univers qui lui apparaît très relatif. Car, en fin de compte, c’est celui que ses sens lui font apparaître grâce au fonctionnement de son système cérébral et de toutes les machines et appareils à son service. Ces derniers sont inventés et construits grâce au fonctionnement du même système cérébral. Les sens d’observation, de déduction, de conception sont ainsi élargis et affinés, lui permettant d’établir une image de l’univers et de lui-même de plus en plus sophistiquée.
Mais l’image, aussi développée et raffinée qu’elle puisse devenir, n’est que l’image de l’univers et non sa réalité. Cette dernière reste à jamais inaccessible à une perception strictement cérébrale. C’est ce qui fera dire à Niels BOHR, célèbre physicien danois du début du 20e siècle, prix Nobel 1922 : « la Science ne décrit pas l’univers tel qu’il est, mais tel que l’homme le ressent ». Ainsi demeure un fossé infranchissable, celui qui sépare l’univers perçu par nos sens et nos machines de celui qui est réel.
La religion est également affectée par ce divorce entre le Connu – produit dans ce cas par nos sens poussés vers l’extrême de leur capacité de méditation et de perception dite spirituelle – et le Réel de ce Dieu, invisible et non descriptible, même par les théologies et discours les plus évolués.
Ce divorce est à la racine de ce qui constitue par exemple la faiblesse centrale du christianisme telle qu’elle se discerne en fin de 20e siècle et au début du 21e. L’immense majorité de ceux qui se disent chrétiens s’est laissée enfermer dans des « concepts » de Dieu et de la vie spirituelle, concepts savamment élaborés, puis transmis, pour ne pas dire imposés, par une certaine théologie. Cette dernière s’est donné pour devoir de « normer », c’est-à-dire fixer la norme, de ce que doit être cette vie chrétienne, une sorte de légalisme issu soit d’une réflexion cérébrale au sujet de Dieu, de sa nature et de ses exigences, soit d’une interprétation – autre effort cérébral – parmi tant d’autres, du texte biblique, alors que la vie authentiquement spirituelle rayonne puissamment l’Amour divin et non son explication théologique. Cette vie est issue d’une union naissante et grandissante EN Christ. Une naissance « d’En Haut », c’est-à-dire provoquée par ce Dieu invisible, infini et incompréhensible, complément crucial de la naissance « d’en bas », celle de la matière et de la vie biologique. Et l’union EN Christ est celle de l’union au Christ crucifié : « J’ai été crucifié avec Christ. Ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit EN moi » écrira Paul l’apôtre dans Galates 2 :20.
La source et l’authenticité de cette vie de Christ EN nous n’ont rien à voir avec ce qui est considéré comme une RELATION avec « Dieu ». Car, dans cette dernière, nous sommes invités à nous RELIER à ce que nous pensons et croyons que Dieu est. Ce « Dieu », fruit de notre croyance dans ce qui nous est enseigné, nous l’enfermons dans une certaine définition et description théologico-biblique de ce qui est perçu de Dieu par nos sens (intelligence et/ou émotions). Par exemple, nous conférons au Dieu que nous percevons une « nature », un « caractère », des « attributs », etc., etc.
Non, l’homme ne peut ni expliquer Dieu, encore moins arriver jusqu’à Lui pour le rencontrer. Parce que dans sa démarche, celle de toutes les religions du monde, il n’aboutit qu’à un concept, une « image » de Dieu, qu’il cherche quelquefois de tout son être, bien au-delà de la Raison raisonnante. Il aboutit ainsi à une adoration de cette image, dans sa relation à cette dernière. Réalisant très rarement que dans cette « image » qui reflète le fonctionnement de ses propres sens et sa façon à lui de concevoir « Dieu », il se projette … lui-même ! Et dans cette adoration de l’image, il s’adore ainsi lui-même ! Il n’y a pas de cause plus profonde et plus directe aux conflits qui déchirent nos églises, au sommeil spirituel qui les paralyse.
Bien plus haut dans ce texte, a été cité seulement le début du verset 15 d’Ecclésiate 3 : « Ce qui est, c’est ce qui a été, et ce qui sera, c’est ce qui a été ». Ce verset se termine par des mots bouleversants : « … et Dieu cherche ce qui est poursuivi » (version interlinéaire hébreu-anglais).
Si l’homme ne sait pas trop s’il cherche Dieu ou non, peut-être un Dieu imaginaire, un concept de plus, par contre Dieu cherche l’homme ! Pas à l’aveuglette mais ayant placé l’homme, tout homme et en tout temps, sur une trajectoire, celle de sa vie. Non pas une trajectoire soumise aux lois du hasard ou de la nécessité, mais une trajectoire soumise à une force irrésistible. La force d’attraction exercée par Dieu envers sa créature, car l’homme, comme tout dans l’univers, a été fait pour Dieu, afin que puisse s’accomplir ce qu’Il avait conçu et préparé de tout temps : « de réunir TOUTES choses EN Christ, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre » (Ephésiens 1 :9,10).
Ainsi l’homme est poursuivi afin que ce soit Dieu qui le rattrape, qui le rencontre effectivement, soit durant l’existence de l’homme ou au dernier moment de cette dernière. Le « est » ou le « sera » du moment et des circonstances de cette rencontre ne seront possible que grâce à cette extraordinaire réalité d’être contenus dans ce qui « a toujours été ». Réalité invisible, parce qu’éternelle (2 Corinthiens 4 :18), rendant possible une rencontre de Dieu avec l’homme parce que déjà effectuée, depuis toujours. L’homme ne peut rencontrer Dieu par lui-même, il n’aboutit qu’à un concept, une idée, une théologie, somme toute une religion, toute construite, élaborée et raffinée par ses propres efforts.
Mais Dieu a non seulement rencontré l’homme en Christ, Il s’est réconcilié avec lui, toujours en Christ (2 Corinthiens 5 :19). Une rencontre et une réconciliation œuvrées depuis toujours, manifestées toutefois dans le visible du temps et de l’espace … sur la Croix de Golgotha. C’est ce qui amènera Paul à écrire à l’église de Rome : « Nous avons été crucifiés avec Christ » (Romains 6 :6 et 8). Bien sûr, nous n’étions pas physiquement cloués avec Lui sur la Croix. Nous n’en avions d’ailleurs pas besoin, puisque, comme tout ce qui est Réel, c’était déjà effectué, depuis toujours. La portée, la puissance de l’œuvre effectuée à la Croix sont éternelles, grâce au sacrifice éternel de cet Agneau « immolé dès avant la fondation du monde » (Apocalypse 13 :8). Le « manifesté » de Golgotha, entré dans l’Histoire depuis plus de vingt siècles, a été rendu possible grâce au caractère éternel de l’œuvre effectuée à la Croix. Ce qui « est », c’est ce qui a toujours « été », une fois de plus. C’est pourquoi on ne peut plus être intrigué par le sens donné en hébreu au mot « bois », traduit par « arbre » dans Genèse 2 :9 (l’arbre de vie). Ce n’est que dans Deutéronome 21 :22,23 que l’on trouve ce même mot, ce qui permet de paraphraser « arbre de vie » par ces mots bouleversants : « le bois sur lequel est pendu le condamné à mort et d’où sortira la vie ». L’œuvre de la Croix, œuvre de brisement pour que surgisse la Vie, faisant partie intégrante de l’histoire de l’univers, est placée « au milieu du jardin », c’est-à-dire au centre de notre histoire, dès le commencement de notre histoire.
Le voilà exprimé, ce Réel ultime, cet Ordre qui soutient tout ce qui est vie, mouvement et être.
Certes, ce que nous sommes, ce qu’est l’univers, constituent une manifestation visible et exprimable dans le temps et dans l’espace. Mais la vie, cet « animé » qui est source de conscience, de capacité d’exercice des sens, de faculté d’expression et d’espoirs souvent trahis, d’inspiration et de souffrance, n’est qu’un souffle qui passe, ayant traversé ce jardin de notre histoire, pour ne plus y retourner. Est-ce là notre destin, de vivre enfermés dans les limites spatio-temporelles de cette histoire, pour finir dans le néant d’où nous avons émergé ?
NON est la réponse ferme et définitive à cette angoissante question qui a toujours hanté l’homme dans son existence.
Car la poursuite de l’homme par Dieu, c’est une recherche qui assurément aboutira, dans des circonstances et un temps que l’homme ne connaît pas d’avance. Cette rencontrer aura lieu, sans aucun doute elle « sera » … parce qu’elle a eu lieu depuis toujours. Elle a toujours « été », pour une union éternelle EN Celui qui est VIE, sens ultime de notre personne, de notre identité. Une union faite pour devenir Connaissance.
Une telle rencontre ne peut être que le thème central de la Bonne Nouvelle, Evangile éternel, lumière qui jaillit dans l’Histoire pour lui révéler son Sens et son Aboutissement.
C’est vrai, nous vivons … « des temps exceptionnels dans l’évolution de la Connaissance ».
Si la Science est arrivée à ce carrefour unique dans son Histoire, c’est pour que l’homme qui s’interroge perçoive enfin et reçoive cette Lumière qui était venue dans son Histoire. Lumière à peine reçue, souvent rejetée. Et nous, témoins de cette Lumière, saurons-nous la replacer sur cette montagne dont nous l’avons descendue pour l’étouffer par le vécu de notre prétendue foi ? La replacer, c’est y retourner, c’est y demeurer … en découvrant à nouveau que le nom de cette montagne c’est Golgotha. Revenir à la Croix, voilà la démarche ultime pour ces temps exceptionnels. La seule démarche qui permettra à la Connaissance de libérer notre civilisation au lieu de l’asservir.