Temps exceptionnels dans le cheminement de la Connaissance.
Thème développé par M. Serge Tarassenko à l’occasion d’une interview à Bruxelles en novembre 2005 pour le magazine « Le Roseau », trimestriel d’information chrétienne en Belgique francophone.
L’opportunité du débat création-évolution, si caractéristique du face à face science- christianisme dit “évangélique”, se verrait être radicalement remise en question si l’on réalisait le début du livre de la Genèse (de la Bible) dans sa version originale.
Dans cette re-lecture, celle par exemple du premier verset du premier chapitre,
“Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre”, on aurait plutôt lu :
“Au commencement de la mise en œuvre de son dessein, Celui-là seul qui est UN crée
le monde de l’esprit et celui de la matière.”
Le mot hébreu “reshit”, traduit ici par “dessein”, signifie mot pour mot :
“…pour un principe et par un principe”.
En somme, le principe par lequel et dans lequel la dualité “matière-esprit” peut
exister. Et c’est ce même principe qui en constitue la raison d’être, la finalité.
Il faudra attendre la publication des lettres de St Paul aux églises de son époque, en
particulier celle à l’église de Colosses, pour identifier le réel de ce principe. En effet,
dans Colossiens chapitre 1, à la fin du verset 16 et au verset 17, nous lisons ces
paroles :
“En fait, toutes choses ont été créées par Lui et pour Lui. Il est avant toutes choses et
c’est en Lui que toutes choses cohèrent.”
Il s’agit ici de Christ, avant même, pendant et après qu’Il ait été l’Incarné Jésus. Au
second verset de ce même premier chapitre du livre de la Genèse, il est question
d’une
“…terre informe et vide dont la surface est couverte de ténèbres, au-dessus de laquelle se meut l’Esprit de Dieu.”
En hébreu, cette image ténébreuse de vide sans forme, ni apparence de dessein, est
décrite par un mot composé “tohou-bohou”. Tohou, littéralement, signifie “désolation”,
et le sens de bohou est donné par un début de phrase inachevée :
“en Lui, c’est…”
Ce manque de forme, ce vide, ces ténèbres auraient produit sur un observateur
hypothétique de ces temps du commencement de toutes choses, un effet de
désolation. Car il aurait été désespéré de n’y voir aucun dessein. Et pourtant – c’est
là le sens du deuxième mot – c’est “en Lui, et en Lui seul” que toutes ces choses, ce
commencement, ont une signification réelle et ultime. L’Esprit de Dieu, par sa mouvance dans notre histoire, a été, est, et sera toujours le porteur d’un tel message.
Ici encore, la lettre de St Paul aux Colossiens se fait l’interprète de ce message par les paroles que nous avons déjà soulignées précédemment, à savoir :
“c’est en Lui que toutes choses cohèrent (ont un sens)”.
Le début du verset 16 le confirme en disant :
“Car c’est en Lui que toutes choses de l’esprit et de la matière, invisibles et visibles, ont
été créées”.
Ainsi, dès les deux premiers versets du premier chapitre du premier livre de la Bible,
Christ est annoncé, comme en filigrane. Ce Christ qui était, avant qu’Abraham ne fût,
Celui en qui toutes choses non seulement cohèrent, mais sont appelées à prendre
leur sens et leur finalité.
Nous sommes loin de la version limitée de l’école créationniste, en guerre contre
l’évolutionnisme, philosophie qui a repris les données scientifiques de la structuration
des espèces pour partir en guerre contre les thèses étriquées du créationnisme.
Prenez également ce qui constitue l’une des pierres angulaires de ce qui semble
permettre la vision créationniste des six jours calendaires ayant présidé à la
création. Cette interprétation se base sur les paroles :
“Il y eut un soir, il y eut un matin, et ce fut le n-ième jour.”
En hébreu, le mot qui a été traduit par “soir” est “ereb”. Ce dernier traduit la réalité
d’une époque dans le temps qui était et qui, petit à petit, s’estompe. La traduction
fait appel à quelque chose de connu qui pourrait illustrer cette époque qui était, mais
qui s’efface. Le mot “soir” fournit cette excellente illustration, sans que pour cela le
mot “soir” traduise le mot “ereb”. De la même façon, le mot “matin” illustre quelque
chose qui n’était pas et qui apparaît progressivement, sans que le mot “boquer”
accepte “matin” comme traduction.
Effectivement le récit dans le premier chapitre de la Genèse est jalonné par une série
d’ères (ou d’époques) qui s’effacent progressivement pour laisser la place à
l’apparition, également progressive, de l’ère suivante. De prétendre qu’il s’agisse ici
de jours calendaires voile difficilement une ignorance délibérée, quand ce n’est pas
du mépris, pour le texte original en hébreu.
Un autre point intéressant du livre de la Genèse concerne l’utilisation du présent
dans le récit de l’apparition de l’Univers et de l’homme. Ce qui permet de dire que
rien n’est achevé, tout est en cheminement constant vers le point final, l’apothéose
de la fin des temps, de l’espace et du monde de la matière. Cette dernière aura servi
de support temporaire, d’enveloppe en quelque sorte, à ce qui est permanent,
indépendant du temps et de l’espace.
L’être humain, entre autres, y est présenté comme un réel invisible, éternel, animant
une enveloppe visible et temporelle, caractérisée par ce qui constitue l’aspect
biologique de sa nature terrestre, depuis les constituants les plus élémentaires de la
matière jusqu’à ses facultés cérébrales les plus sophistiquées.
Nous vivons dans des temps exceptionnels, dont l’un des aspects les plus intrigants
réside dans cette quête, cette recherche par des scientifiques d’un sens ultime au
drame humain, somme toute à l’homme et son histoire. (Voir l’ouvrage récemment
publié par les Presses de la Renaissance, “Science et quête de sens” dans lequel des
scientifiques du plus haut niveau, dans des domaines variés, dont quatre prix Nobel,
s’expriment à travers des positions diverses, sur une évolution de la connaissance
scientifique qui va bouleverser notre vision du monde à travers la recherche de son
sens).
L’autre aspect provient de l’avènement de la Nouvelle Physique. Cette discipline s’est
formée à la suite de découvertes scientifiques effectuées dans les trente premières
années du vingtième siècle. Elles ont surtout surgi à la suite d’une exploration
approfondie de l’univers sub-atomique. Les scientifiques de l’époque ont ainsi été
amenés à faire face à une réalité étrange et imprévue qui semblait défier la
cohérence jusque-là admise d’une description cartésienne de l’univers. Ils ont réalisé
avec beaucoup de difficultés que les concepts mécanicistes (terme emprunté au
physicien Bernard d’Espagnat dans “Science et quête de sens”) issus des travaux de
Descartes et Newton, le langage et la façon de penser utilisés pour les formuler, tout
cela était totalement inadéquat pour décrire les fruits de leurs découvertes.
Les problèmes conséquents étaient non seulement d’ordre intellectuel, mais ont
produit une crise d’ordre existentiel. Il a fallu de longues années pour surmonter
cette crise. Toutefois, ils ont émergé solidement dotés d’une faculté de vision
approfondie de la nature de la Matière et de sa relation directe avec l’esprit humain.
Ces nouveaux concepts ont amené un bouleversement considérable de notre vision
de l’univers et de l’homme. Quittant le concept mécaniciste de Descartes et Newton,
nous arrivons maintenant à développer et utiliser une vision holistique et écologique,
vision ô combien proche de celles que découvraient les mystiques de toutes époques
et traditions.
Plus frappant encore, cette nouvelle vision, tout en utilisant un langage de
description différent, converge vers celle développée dans ce livre appelé la Bible, et qui ne cessera d’étonner. Surtout lorsqu’il nous est donné de remonter aux textes et
langues d’origine, qu’il s’agisse de l’hébreu ou de l’araméen, sans mentionner
certains aspects du grec.
La Nouvelle Physique nous éclaire sur ce que doit être l’ultime Réel, invisible,
indépendant du temps et de l’espace. Il s’agit d’un Ordre implicite, non directement
manifesté, qui “soutient” et rend possible le Visible, le mesurable, le concevable. Cet
Ordre contient tout ce qui a été, qui est, et qui apparaîtra encore dans notre
continuum espace-temps. Ce qui est “événement”, que ce soit au niveau sub-
atomique ou dans l’histoire des hommes, n’est possible que grâce au fait que les
“ingrédients”, les éléments source de cet événement ont “toujours été”, faisant partie
intégrante de l’ultime Réel, cet Ordre qui rend ainsi l’événement possible dans notre
continuum espace-temps. Que dire alors de ce texte quelque peu cryptique du livre de l’Ecclésiaste dans la Bible,
“Ce qui est, c’est ce qui a été, et ce qui sera, c’est ce qui a été” ?
Le “est” et le “sera” contenus dans ce qui a “été”.
En fait, ce qui ressort d’une lecture approfondie des textes des Saintes Ecritures,
c’est l’importance capitale de ce qui EST. Car ce qui est appelé à EXISTER ne sera
que l’apparence, la manifestation visible de ce qui EST, invisible certes, mais
contenant tout ce qu’ont été, sont et seront les manifestations, les “événements”.
Le Christ-Jésus, parce qu’Il est celui par qui, en qui, et pour qui tout existe, se révèle
comme la cohérence ultime de toutes choses, comme nous l’avons déjà vu
précédemment.
Il peut, et désire projeter dans notre existence, dans notre vie quotidienne, Celui qui
a fait au peuple juif cette déclaration solennelle :
“JE SUIS CELUI QUI SUIS”.
C’est une projection qui se manifeste dans cette vie nouvelle offerte, vie nouvelle
parce qu’elle manifestera la cohérence ultime de tout ce qui nous arrive, de tout ce
que nous vivons. C’est ainsi que nous sommes appelés à découvrir une paix
extraordinaire, en particulier dans les périodes d’adversité. Parce que cette paix
constitue la garantie tangible que nous faisons partie de cette cohérence ultime de
notre existence, sans que pour cela il soit possible d’expliquer, d’analyser cette
cohérence. Somme toute, une paix qui transcende toute intelligence.
Et que dire de la prière, dans ce vécu d’une cohérence inexplicable et totale ? Elle
devient cet élan qui nous introduit, au sein du plus profond de nous-même, dans ce
qui a toujours été, de tout temps. Elle se transforme en cette assurance du tout
prêt, depuis toujours. Elle se réjouit de cette invitation à…
…“venir, car tout est prêt”.
Car elle ne demande plus que quelque chose de ce que NOUS désirons se
manifeste, elle se réjouit plutôt de réaliser que
“tout est effectivement prêt”.
Nous n’avons aucune conscience de ce “tout”, mais nous vivons cette assurance
selon laquelle ce qui est à même de se manifester ajoutera un degré de plus à
l’harmonie de notre existence, même (et quelque fois surtout !), s’il s’agit d’une
forme d’adversité inattendue. Au fait, parle-t-on ici de la prière… ou de la foi ?
Ou des deux, se soutenant mutuellement ?
Cette vision d’un Réel ultime, qui transcende tout ce que la science du matérialisme
cartésien affirmait être la réalité et qui n’est qu’apparence, a défié la connaissance
depuis toujours. N’est-ce-pas le physicien danois au grand renom, Niels Bohr, qui
déclarait :
“la Science ne décrit pas l’Univers tel qu’il est, mais tel que l’homme le ressent”.
Cette description par la Science, qui est rendue possible grâce au fait que l’homme
“ressent”, trahit son inéluctable caractère de subjectivité absolue. Après tout, l’homme ne fait que se projeter dans ce qu’il énonce suite à ses expériences, et qu’il
appelle Science.
Vision du Réel ultime… un pressentiment en fait, mais d’une puissance telle qu’il est
capable de transformer notre société et notre culture. On le trouve même ancré dans
l’extraordinaire interrogation des frères Bogdanov, deux physiciens qui, comme tant
d’autres, se sont posés la question de savoir ce qu’il y a, ce qui s’est passé…
…“avant ce commencement de toutes choses appelé le Big Bang”.
La préface de leur ouvrage “Avant le Big Bang” (publié en 2004), du professeur
Arkadiusz Jadczyk, est suivie d’un avertissement au contenu remarquablement en
harmonie avec ce que le face à face “Nouvelle Physique et Bible” nous a montré
jusqu’ici. Voici un extrait de cet avertissement :
“Mais y a-t-il encore un autre monde ? Quelque chose qui serait « en dessous” du monde
quantique ? Un univers “plus petit que tout” et qui aurait une taille nulle ? Ce monde-là,
ce troisième monde, existe bel et bien. Nous l’avons découvert au-delà de la tempête
quantique, tout au fond du cône de lumière. Là-bas, la matière, l’énergie, toutes les
forces qui nous sont familières, ont disparu. C’est le point zéro de l’Univers. Sans
dimensions, hors du temps, information pure. Invariant, immuable, reflet de l’ordre le
plus élevé que puisse concevoir l’esprit humain, il ne peut être décrit que par une
“métrique” mathématique totalement différente…
…Celle-ci est gouvernée par une symétrie dont l’harmonie mathématique est inconnue
dans notre monde. Qu’est-ce-que cela signifie ? Simplement, que la quatrième
coordonnée, celle du temps, n’est plus réelle mais imaginaire. Dans ce monde-là, il n’est
plus question de donner rendez-vous à quiconque : le rendez-vous a déjà eu lieu, il aura
lieu de toute éternité, du premier au dernier instant de l’Univers, en une totalité
fantastique, où tous les événements sont superposés sous la forme d’une seule et
formidable image globale”.
Qu’il s’agisse de ce “monde-là”, ou de l’Ordre implicite non directement manifesté,
contenant tout ce qui a été, est, et sera, ou bien encore de Celui en qui toutes ces
choses qui ont été, sont, et seront, trouvent leur cohérence, nous assistons à une
remarquable convergence, totalement imprévisible il y a un siècle.
Assurément, ces “visions” du Réel ultime, ces “pressentiments” issus des profondeurs
de notre être, nous interpellent plus que jamais. Qu’ils jaillissent de ce qui nous est
donné de vivre, soit au sein de la Nouvelle Physique, ou d’une lecture approfondie de
la Bible, ou encore du reçu mystique de la prière et de la foi en ce Christ qui
transcende nos religions, une chose est certaine : une force de rappel invisible nous
entraîne vers Celui qui, étant la cohérence ultime de toutes choses, ne nous avait
jamais… quittés.